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L’industrie du vinyle ne tourne plus rond

Written by on 11/01/2023

La pénurie de matières premières et l’augmentation des commandes de disques créent des embouteillages monstres en usine. Les labels indépendants sont les premiers à en souffrir face aux mastodontes de l’industrie.

Quinze semaines, dix-huit semaines, six mois : ce sont les temps d’attente annoncés aujourd’hui aux labels souhaitant presser des disques vinyle. Et encore, c’est une estimation.

Impossible de s’engager, il faudra faire avec les aléas. Personne n’est épargné, mais les labels indépendants, qui n’ont ni le poids ni la puissance financière des mastodontes de l’industrie, sont évidemment ceux qui dégustent le plus sévèrement.

Difficile toutefois de résumer à une simple opposition majors-indés une situation qui résulte de problèmes multiples à commencer par une pénurie mondiale de matières premières. En l’occurrence le pétrole, dont la baisse des volumes de production a provoqué une forte tension sur le polymère, indispensable à la fabrication du vinyle. Et le bois, qui touche lourdement la production de papier et de carton.

Carences auxquelles est venue s’ajouter une recrudescence des commandes provoquées par la sortie de crise sanitaire. Provoquant un embouteillage monstre en usine, où les indépendants souffrent, là, d’un net désavantage, comme l’explique Mathieu Dassieu, président de la Fédération nationale des labels et distributeurs indépendants (Félin) :

«L’offre de pressage étant très largement inférieure à la demande, un rapport de force s’est très vite installé, chacun négociant avec son usine pour que sa production passe avant les autres, ce qui pénalise forcément les indépendants dont la production oscille généralement entre 300 et 1 000 exemplaires, là où les majors en pressent, elles, entre 5 000 et 50 000.»

«Beaucoup de labels vont disparaître»

Gérer un label indépendant en cette fin 2021 n’a donc plus grand-chose à voir avec l’organisation mais demande essentiellement de la patience et surtout une large part d’improvisation. «Il faut être ultra-souple, explique François Aptel, du label parisien Teenage Menopause. On ne peut rien prévoir.

Les disques arrivent le jour où un type appelle pour dire «je suis en bas de chez vous». Et ça encore, c’est pour les labels déjà installés, avec des volumes de plus de 500 exemplaires par sortie. Pour ceux qui veulent se lancer ou pressent des plus petites éditions, c’est encore plus compliqué.

D’autant qu’il faut verser des acomptes. Qui ne pourront, de fait, pas être remboursés avant un moment. Donc sans un minimum de trésorerie, impossible de suivre. Tout ça risque surtout de rebattre, à terme, les cartes du paysage indépendant.

Beaucoup de labels vont disparaître ou devoir radicalement se transformer, et c’est ça le plus inquiétant finalement.»

Les solutions ?

Monter des unités de production dédiées exclusivement aux indépendants ? C’est évoqué, notamment du côté de la Félin. Sauf qu’outre le matériel et le savoir-faire, on note un écueil de taille : la main-d’œuvre.

Presser du vinyle demande un minimum de formation et reste, à l’arrivée, un travail à la chaîne, payé en conséquence, ce qui fait rapidement déchanter certains passionnés. La Félin a également pour projet de faire appel au médiateur de la musique au ministère de la Culture pour réunir usines et labels et tenter de trouver un terrain d’entente afin de mettre fin à «la loi de la jungle».

Qui, en attendant, prévaut, chacun se débrouillant comme il peut.

«On parle de diversité mais qui l’applique dans ce secteur ?»

Certains se tournent vers le CD, qui a sa place et son public mais ne viendra rien remplacer, d’autant que les ventes de platines n’en finissent pas de chuter, alors qu’elles sont en augmentation constante côté vinyle.

D’autres seront tentés par la cassette, revenue en grâce depuis une dizaine d’années mais peinant à dépasser le statut de gadget pour branchés.

Pour pouvoir organiser en parallèle tournées et promos, beaucoup se résignent à sortir CD et numérique à la date prévue et vinyle six mois plus tard, avec le risque de se couper ainsi d’une part du public. «Là où c’est réellement crispant et où l’opposition major-indés se fait vraiment la plus prégnante, reprend Mathieu Dassieu, c’est que ce sont les indépendants qui ont permis le redémarrage du vinyle, à une période où les majors avaient fait leur deuil et où 80 % de leurs revenus reposaient sur le numérique.

Et ce sont eux qui se retrouvent aujourd’hui dans la position la plus critique. D’autant plus que les commandes des majors ne concernent souvent pas des nouveautés mais leur fond de catalogue.»

Si le prix du vinyle a globalement augmenté ces derniers mois, notamment à cause des nouvelles taxes d’importation qui se répercutent en boutique mais aussi sur des sites comme Bandcamp ou Discogs, celui du back catalogue des majors a, lui, subi en début d’année une inflation, selon Dassieu, «totalement déraisonnée et décorrélée des augmentations du coût des matières premières».

On se retrouve ainsi en magasin avec des classiques rentabilisés depuis des décennies, vendus à des prix excessifs  sans véritable raison. Un phénomène face auquel chaque disquaire y va de sa petite théorie, de l’incompétence totale pour certains à une spéculation réfléchie pour d’autres.

Une chose est certaine : ceux qui souffrent le plus sont les fondamentaux de la culture indépendante,  la diversité et l’accessibilité.


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